La Lettre du président de la République aux armées
Nicolas Sarkozy s'exprimera solennellement devant 3 000 personnels
de toutes les armées le 17 juin 2008 au Parc des expositions de la porte de
Versailles. Selon la presse, il y aurait aussi 500 responsables de ministères
civils, sans doute pour les convaincre de l’utilité des réformes et de
l’adhésion à ces réformes.
Cet exercice inhabituel depuis De Gaulle selon Jean Guisnel (Le Point) et
fortement médiatisé a pour objectif de présenter les résultats du Livre blanc
avant que le texte ne soit officialisé au Conseil des ministres (avec plus de
deux mois de retard sur le calendrier initial). Il a été annoncé par une lettre
du président de la République en date du 30 mai expliquant les enjeux des
réformes à venir et adressée à tous les personnels militaires et civils de la
Défense (www.defense-et-republique.org). Le ministre de la Défense
pourrait annoncer début juillet les mesures concrètes, en fait les restructurations
déjà dévoilées par le Point le 17 janvier 2008 et détaillées le 20 mars. Le
futur Livre blanc est certes cité en référence mais l’objet de ce grand show
qui aurait pu être une communion entre le chef des armées et la communauté
militaire, est de présenter les réformes à venir. La logique budgétaire est
donc prioritaire et non l’élaboration de la stratégie de la France qui justifie
les réformes déjà décidées.
Dans le cadre général des réformes en cours en France, il est certain
que cet exercice n’aurait pas pu se faire avec les fonctionnaires ou d’autres
catégories sociales. En revanche, « montrer » la réussite d’une
réforme avec une catégorie la « soutenant » (pas de grève, pas de
commentaires) entre dans l’instrumentalisation de cet événement et donc dans la
campagne de communication du gouvernement. Ainsi, dans sa Lettre, Nicolas
Sarkozy fait appel au sens de l’intérêt général des militaires (c’est habituel)
et à la « discipline intellectuelle » (en gros j’ai décidé, vous
exécutez, cela fait mal mais cela est pour votre bien et pour celui de la
France). En parallèle, les consignes sont données en interne pour que les chefs
maîtrisent leurs troupes afin d’éviter tout débordement devant une grogne
montante et une expression possible.
Le président de la République déclare aussi qu’il a rencontré
un grand nombre de militaires. Il ne rappelle pas dans quelles conditions,
étant toujours pressé et il n’est pas sûr qu’il puisse donner le nom de l’un
d’entre eux. Sa campagne de communication est orientée depuis janvier 2008 vers
la création d’images opportunes pour montrer qu’il est au contact de la
communauté militaire. Cependant quelques faits surnagent.
Ainsi, la dernière cérémonie du 21 mai 2008 aux Invalides
destiné à rendre un hommage aux opérations extérieures et à remettre des
décorations a été un grand moment … de rupture et d’incompréhension. Le général
Cann élevé à la dignité de Grand’croix de la Légion d’honneur n’en est pas
revenu, pas plus que les familles. Le président de la République était pressé,
la cérémonie militaire trop longue, la remise des décorations à ces anciens
combattants manifestement une corvée alors que paraît-il une remise de légion
d’honneur à Christian Clavier, beaucoup plus intéressante, attendait à l’Elysée.
En résumé, une rupture dans le protocole, dans le respect dû à ceux qui avaient
servi la France par les armes, un manque de chaleur du chef des armées envers
la communauté militaire, familles comprises.
Et il est rappelé dans la Lettre du 30 mai à la communauté
militaire que le défi de la réussite des réformes sera le résultat d’un travail
commun entre le chef des armées et des armées. Avec un Livre blanc auquel peu de
militaires participaient, eux-mêmes ignorants encore aujourd'hui ce qu’il a été
retenu ? Où les décisions sont manifestement prises avant sa rédaction ?
Est-ce qu’enfin la place des militaires au sein des institutions a été
revalorisée pour mieux agir au service de la France ? En fait, il s’agit
d’un affaiblissement grave des forces armées et de leurs capacités d’action.
Cette rupture est surtout celle de la rupture du contrat de confiance entre les
armées et le chef des armées, ce dont il ne mesure pas les conséquences.